Toutes les informations qui parviennent à votre cerveau sont évaluées et triées à plusieurs niveaux avant même que vous ne puissiez en prendre connaissance. La manière dont les données sont filtrées varie en fonction de la présence ou non d'un TDAH.
Le TDAH est caractérisé par un manque de dopamine et de noradrénaline dans le cerveau. Mais quelles en sont les effets ? Le psychiatre Heiner Lachenmeiner, qui exerce dans la région de Zurich, a développé le modèle de filtre pour expliquer certains des effets, dont le filtrage des informations par le cerveau.
Triage automatique à deux niveaux
Votre cerveau trie automatiquement toutes les informations, à plusieurs niveaux :
Réception des informations venant de l'extérieur (input)
Mobilisation des données dans votre mémoire (associations déclenchées par l'input)
Combinaison des deux éléments, ce qui génère vos pensées et vos émotions conscientes
Le filtrage automatique et inconscient réduit le nombre d'informations à deux reprises. Tout d'abord, les informations provenant de l'extérieur sont filtrées. Ensuite, les données considérées déclenchent des associations et celles-ci sont également triées dans un second temps.
Les avantages et inconvénients de ce filtrage
La première étape limite les informations qui viennent de l'extérieur. La deuxième étape réduit le nombre d'associations déclenchées dont vous seriez conscient. Ce procédé présente de nombreux avantages :
Il permet de vous faire rapidement une idée de la situation
Cela vous donne un sentiment de maîtrise et de sécurité.
Vous êtes capable de vous décider rapidement.
Peu d'énergie est nécessaire pour traiter les informations.
Cette méthode est super efficace, mais elle présente aussi quelques inconvénients :
Vous ne voyez qu'un nombre limité de variantes possibles.
Votre niveau de créativité est limité par le choix que le triage vous laisse.
Vous êtes peu motivé pour prendre des décisions hors du commun.
Beaucoup d'énergie est nécessaire pour vous débarrasser d'anciennes réflexions devenues obsolètes.
Les deux filtres vous permettent donc d'obtenir rapidement une vue d'ensemble lors de vos activités quotidiennes, c'est-à-dire la majeure partie du temps. Ce mécanisme atteint ses limites lorsque vous vous trouvez dans des situations exceptionnelles qui exigent des solutions entièrement nouvelles. Chez les personnes avec TDAH, cela se passe différemment, car ce filtrage est altéré.
L'effet des neurotransmetteurs
Dans le cerveau des personnes avec TDAH, le taux de dopamine et de noradrénaline est nettement plus faible que dans la population générale. Quels sont les effets de ces deux substances ?
La dopamine atténue les informations moins importantes.
La noradrénaline renforce les informations pertinentes.
Ces deux neurotransmetteurs limitent la quantité de données que vous devez prendre en compte. De cette façon, ils vous permettent d'avoir aisément une vue globale des affaires et de vous concentrer sur ce qui est essentiel. Cela facilite énormément l'accomplissement des tâches quotidiennes chez les personnes sans TDAH.
Les personnes avec TDAH ne disposent pas de ce pré-filtrage automatique. Elles sont donc confrontées à plus d'informations que les autres et doivent traiter un volume de données beaucoup plus important.
Manque de triage
Le tri initial des informations provenant de l'extérieur est affaibli chez les personnes avec TDAH. Par conséquent, elles sont obligées de traiter un plus grand nombre de données. Par la suite, le nombre élevé d'input retenu déclenche en conséquence davantage d'associations. Alors que chez les personnes sans TDAH, le nombre d'associations est réduit par un autre filtre, ce n'est pas le cas avec le TDAH. Non seulement les associations ne sont pas réduites, mais le nombre de pensées déclenchées après le second filtrage explose carrément sans frein. C'est la pensée en arborescence sans limites.
Une personne avec TDAH voit sa pensée multipliée par mille par rapport à une personne sans TDAH ayant le même niveau d'intelligence. En conséquence, elle est confrontée à un excès de données, ce qui entraîne une surcharge cognitive. Il n'est pas du tout surprenant qu'elle perde facilement la vue d'ensemble et qu'elle ait du mal à identifier l'essentiel.
En bref, les personnes avec un TDAH sont obligées de traiter en permanence plus d'informations que les personnes sans TDAH.
Les défis des personnes avec TDAH
L'énorme flux constant de données non filtrées entraîne de graves conséquences sur la vie quotidienne des personnes avec TDAH :
Surcharge cognitive parce qu'il leur faut beaucoup de temps pour s'orienter et obtenir une idée générale de la situation
Surcharge émotionnelle à cause d'un haut niveau d'insécurité jusqu'à qu'elles obtiennentnt une vue d'ensemble
Capacité d'action restreinte parce qu'elles ont des difficultés à se décider dû au manque de vue globale
Perte d'énergie et épuisement causé par l'énorme effort nécessaire pour traiter l'excès de données
Face au flot de données non filtrées, la vue d'ensemble est vite perdue, surtout la vue d'ensemble « ressentie » dont nous avons besoin pour nous sentir à l'aise et en sécurité. Souvent, les personnes avec TDAH disent qu'elles se trouvent dans un brouillard dû au nombre excessif de données. Elles se sentent donc désorientées et ressentent un fort sentiment d'insécurité.
Il n'est pas du tout étonnant que les personnes avec TDAH soient souvent épuisées (parfois jusqu'au burnout) et vivent une haute charge d'émotions stressantes, notamment de l'anxiété, ce qui affecte souvent leur santé psychique. Il leur manque les filtres automatiques qui facilitent énormément la vie quotidienne de la majorité des gens.
Les avantages du filtrage manquant
Les inconvénients de cette approche sont évidents. Mais en y regardant de plus près, vous pouvez également identifier des avantages indéniables :
Créativité et innovation grâce à un énorme éventail de perceptions et de pensées
Potentiel d'action dans des situations de crise parce qu'elles ont déjà appris à vivre et à gérer plein de situations confuses et incertaines
Capacité à prendre des décisions dans les domaines, même complexes, dans lesquels elles ont acquis une ample expérience
Enthousiasme et persévérance dans les sujets qui les fascinent, grâce aux états émotionnels amplifiés
Le manque de pré-filtrage permet des associations plus larges et finalement une créativité élevée. Il faut se rendre compte que filtrer ne signifie rien d'autre que censurer. Ce qui est un inconvénient dans la plupart des situations quotidiennes révèle ses côtés positifs dans des conditions exceptionnelles, où la créativité et la spontanéité sont indispensables. Ce sont précisément ces moments-là que les personnes sans TDAH ont du mal à gérer.
Réactivité exceptionnelle
Souvent, les personnes avec TDAH sont plutôt lentes. Mais sous deux conditions, elles sont plus réactives que les autres :
Dans les domaines auxquels elles se sont longtemps intéressées et investies : Dans de tels cas, elles sont plus rapide à percevoir de nouvelles conditions (grâce au manque du filtrage) et à les gérer plutôt aisément. C'est comme chez un chauffeur de taxi qui connaît sa ville sous tous ses aspects et qui se rend compte tout de suite quand la circulation n'est pas comme d'habitude et sait réagir immédiatement pour éviter une route bloquée.
Dans les secteurs dans lesquels elles ont développé des méthodes d'adaptation spécifiques (coping) au fil du temps : Celles-ci leur permettent de distinguer l'important du superflu et de réagir rapidement.
Reconnaître les aspects bénéfiques du TDAH
Avec son modèle de filtre, Heiner Lachenmeier s'adresse avant tout aux personnes concernées qui se heurtent constamment aux difficultés que leur TDAH entraîne au travail. Elles sont tout à fait conscientes de leurs faiblesses, puisqu'elles leur sont constamment reprochées. Mais il est également important qu'elles soient conscientes des avantages de leur condition. Cela leur permet de s'orienter vers un environnement de travail qui leur correspond et dans lequel elles peuvent s'épanouir.
Collaboration entre personnes avec et sans TDAH
Habituellement, nous reprochons aux personnes avec TDAH leur façon d'agir qui est souvent moins efficace et qui dérange leur entourage. Nous pourrions leur dire mille fois que c'est à elles de s'adapter et de faire mieux. En fait, c'est ce qu'elles ont fait toute leur vie, mais avec peu de succès, car le TDAH leur impose clairement des limites.
Eckart von Hirschhausen est comédien, animateur de télévision, magicien et écrivain en Allemagne. Initialement, il a exercé en tant que médecin de clinique, où il se heurtait à ses limites en raison de son TDAH. Le passage à des activités faisant appel à sa créativité et à sa spontanéité lui a permis de réussir. Cet exemple vous montre, qu'à la bonne place, dans le bon environnement, les personnes avec TDAH peuvent exceller. Mais quand on ne leur donne que des tâches difficiles à gérer avec un TDAH, comme l'administration et la comptabilité, on n'obtient que de piètres résultats d'elles.
Au lieu de considérer les personnes avec TDAH comme peu fiables et peu compétentes, il vaut mieux comprendre leur fonctionnement et les intégrer de manière futée dans les équipes de travail. De cette façon, les personnes avec TDAH peuvent compenser les faiblesses des autres. En fin de compte, tout le monde en profite. Il s'agit vraiment d'une situation gagnant-gagnant.
Grâce à un filtrage altéré, les personnes avec TDAH peuvent percevoir des éléments négligés par la majorité des gens. À la bonne place, elles peuvent amener des contributions intéressantes aux entreprises et à la société. Du reste, il en va de même pour les autres personnes neurodivergentes, notamment les autistes.
Source (en allemand) : LACHENMEIER, Heiner, 2024. Mit ADHS erfolgreich im Beruf: so wandeln Sie vermeintliche Schwächen in Stärken um. 2. Auflage. Berlin : Springer. ISBN 978-3-662-67240-2.
Version anglaise du livre: LACHENMEIER, Heiner, 2023. ADHD and success at work: how to turn supposed shortcomings into strengths. Cham : Springer. ISBN 978-3-031-13436-4.
Article de Beát Edelmann, coach et formateur, expert en gestion de soi, analyse de la personnalité et neurodiversité (autisme et TDAH), fondateur d'Abundana, Institut pour la gestion de soi à Genève et à Berne.
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